Akkha, à mi-chemin, es tu surpris par le déroulement du match ?
Je dirais… oui et non… Je m’explique :
La 1ere partie est assez conforme à ce qui était attendu. Anand a commencé le match d’une façon plutôt agressive, en tout cas l’état d’esprit dans lequel il a joué cette première partie (cela n’a rien à voir avec leur match de l’année dernière avec les rounds d’observations). Mais il a été, on peut le dire, contré d’une façon convaincante par Carlsen. Nulle de combat.
Dans la 2e partie, Carlsen a exercé une pression incroyable jusqu’à ce, dans une position difficile, Anand craque (34. …h5 ??). Je pense, que dans cette partie, Carlsen a tout simplement été plus fort qu’Anand. Gain de Carlsen.
3e partie. Coup de tonnerre, Anand revient immédiatement ! Une meilleure préparation et un jeu précis. Du grand Anand ! Très important, Anand a joué le genre de partie qui peut décontenancer Carlsen, en tout cas le sortir de sa zone de confort. Gain d’Anand.
4e partie, encore une terrible bataille sur l’échiquier avec de la violence dans les coups de part et d’autres. Nulle de combat.
Jusqu’ici donc, je ne suis pas surpris par le déroulement du match, mais plutôt par le très haut niveau de jeu développé par Anand pour contenir Carlsen.
Arrive alors cette surprenante 5e partie. Anand joue toujours aussi bien (20.Cd5 !) mais son état d’esprit semble avoir changé…. Après l’échange des Dames, il laisse Carlsen faire nulle plutôt facilement…. Sans doute qu’après 25.Te7, Carlsen peut tenir sa finale, mais je ne veux pas parler de technique (il y a tous les grand-maîtres et tous les ordinateurs du monde qui se sont déjà penchés dessus). Je parle juste de l’état d’esprit d’Anand qui semble avoir changé… Il a l’air moins sûr de lui…
6e partie. Voilà la vraie surprise pour moi ! J’avais l’impression d’assister à une partie du match de l’année dernière, qui a vu Carlsen ravir facilement le titre à Anand. La surprise vient du choix d’ouverture, où plutôt de la variante choisie par Anand : jouer une pseudo-finale, dès le 10e coup, contre Carlsen me semble… disons suicidaire… Evidemment la position n’est pas loin de l’égalité. Evidemment c’est Anand qui joue et donc évidemment il devrait avoir assez de technique pour annuler… Évidemment…. Mais quand même : Pourquoi diable jouer contre le point fort de Carlsen ? Pourquoi jouer dans la zone de confort de l’adversaire ? Carlsen très à l’aise (trop à l’aise ?), met une grosse pression et finit par remporter la partie. Je dis « finit par… » car il y a eu le rebondissement avec ce tragique 26e coup….
Justement, la désormais célèbre gaffe du 26e coup de la 6e partie, comment l’expliquer ?
Le stress et la tension sans aucun doute y sont pour beaucoup… mais je pense que ce 26e coup raté par Anand (et par Carlsen !) révèle autre chose.
D’abord, c’est la continuité pour moi de la fébrilité que l’on a ressenti chez Anand lors de la partie précédente (la 5e partie dans laquelle, après avoir bien joué, Anand desserre l’étau rapidement , en laissant Carlsen faire nulle sans trop de problème). Il n’était pas dans l’état d’esprit combatif qui lui aurait permis de trouver en un clin d’œil (pour lui) un tel coup (26. …Cxe5 !).
Quant à Carlsen, je me risque à dire que c’est parce qu’il est trop sûr de lui, trop imbu de sa personne, trop présomptueux (et c’est peut-être là sa seule faiblesse…) qu’il a joué 26.Rd2? et raté le 26e coup noir.
Donc pour moi, peut-être que le stress et la tension peuvent expliquer ce 26e coup (c’est en tout cas ce qui est dit partout), mais pas seulement. Je dirais plutôt le manque d’assurance chez Anand (qui va grandissant on dirait…) et au contraire, l’arrogance chez Carlsen (qui va grandissant aussi –haha).
Anand a-t-il toujours une chance de sortir la tête de l’eau ?
Je pense que oui mais il doit retrouver l’état d’esprit dans lequel il a abordé ce match !
Aujourd’hui, dans la 7e partie, Anand a joué une berlinoise… c’est-à-dire une pseudo-finale comme aime à les jouer Carlsen. Peut-être a-t-il confiance en sa technique, mais je ne peux m’empêcher de penser que ce n’est pas une bonne idée de jouer dans la zone de confort de Carlsen.
Vous savez, le problème d’Anand avec les finales ou les pseudos finales, ou plutôt d’une façon plus générale avec les positions égales voire les positions dites « nulles », c’est que, contrairement à Carlsen, il n’est pas habitué à les jouer. Sans doute les a-t-il analysées ces positions, mais clairement il les a moins joués que Carlsen. Tout simplement parce que Anand et les joueurs de sa génération ne jouaient pas ce genre de position. Dès qu’ils arrivaient dans ces positions, eh bien ils se serraient la main, faisaient partie nulle et venaient expliquer au commun des mortel que nous sommes que de toute façon la position est égale, elle est nulle et qu’il n’y a rien à en tirer, blablabla blablabla…. Puis est arrivé Carlsen qui leur a expliqué que finalement si, il y a encore des choses à faire…
D’ailleurs l’état d’esprit de Carlsen reflète la « corsican rule »* qui empêche les adversaires de se proposer partie nulle et de combattre dans un esprit sportif.
Malheureusement, les esprits changent lentement car on voit sur internet, parmi ceux qui suivent les parties en direct, certains, armés de leurs logiciel clamant haut et fort « mais c’est nul comme position, pourquoi continuer etc. C’est vrai, mais à ceci près que ce sont des hommes qui jouent et non pas votre logiciel…
Pour revenir à votre question, je pense qu’Anand doit absolument retrouver l’état d’esprit qui était le sien en début de match. Mais pour le moment malheureusement, j’ai l’impression qu’Anand joue comme cette pensée de Lao-Tseu : « La douceur triomphe de la dureté ; la faiblesse triomphe de la force. À mon humble avis, Lao-Tseu n’a pas dû beaucoup jouer contre Carlsen …
* Dès 2003 la ligue corse décide d'interdire la "proposition de nul par accord mutuel". Après leur participation au Corsican Circuit en 2003, Sylvio Dainalov et Vesselin Topalov sont conquis par cette disposition et l'applique (en la modifiant techniquement) au 1er tournoi de Sofia en 2005. La FIDE interdit désormais de proposer nul avant le 30e coup.